A bord de sa cabine, Kassandra Lecren partage son quotidien de conductrice de train avec plus de 23 000 personnes sur les réseaux sociaux. Du transport de voyageurs au fret, entretien avec une jeune femme passionnée.
Comment êtes-vous devenue conductrice de train ?
Depuis toute petite, je voulais être gendarme, venant d’une famille de militaires. Une fois adolescente, ma famille a déménagé et notre voisin était conducteur de trains. Il nous a beaucoup parlé de son métier et je m’y suis beaucoup intéressée, mais pour moi c’était un métier quasiment « inaccessible », comme on rêve d’être pilote d’avion ou chanteuse quand on est petite.
En sortant du lycée, j’ai commencé à suivre des études à l’université qui ne me plaisaient pas du tout, j’ai donc arrêté mes études et j’ai trouvé un emploi saisonnier chez SNCF à Toulouse en tant que contrôleuse.
Ce pied dans le monde ferroviaire m’a convaincue que c’était ce que j’aimais faire et qui était fait pour moi.
Une fois ma saison de contrôleuse terminée, j’ai postulé à la conduite mais je n’avais que 18 ans, et certains recruteurs préfèrent attendre que l’on soit un peu plus âgés avant de nous prendre à la conduite.
Je suis quand même restée dans le chemin de fer un an de plus en passant la formation d’Agent-Circulation (les aiguilleurs du ciel mais au chemin de fer) et une fois ma formation terminée, j’ai repostulé à la conduite et j’ai été prise à tout juste 20 ans.
Qu’aimez-vous dans ce métier de conductrice de train ?
J’aime mon métier car je le trouve très complet, et parce qu’il n’y a pas de routine.
C’est un métier très prenant et exigeant tant il nous demande de la concentration, une vigilance et une attention de tous les instants pour garantir à chaque trajet un niveau de sécurité maximal. Cela nous tient toujours en garde et nous mobilise beaucoup en cas d’aléas avec beaucoup de responsabilités à gérer, mais c’est également ce qui le rend si passionnant !
Il me permet de voyager aux quatre coins de notre très belle région en passant de l’Etang de Salses-Leucate à la cathédrale d’Albi, ou aux montagnes de l’Ariège, de nuit quand tout est calme et que l’on se sent seul au monde ou lors des heures de pointes, en plein lever ou coucher de soleil avec les paysages flamboyants.
Enfin, c’est un métier dans lequel je me sens utile, quand je vois des milliers de voyageurs monter et descendre chaque jour de mon train, que je peux permettre à des familles de se retrouver ou de faire découvrir la région à d’autres voyageurs. Il y a aussi le côté très satisfaisant de réussir à gérer un aléa, un retard, une panne, et de voir les gens ravis de ne pas avoir loupé leur correspondance par exemple.
Et aujourd’hui, au transport de marchandises, il y a ce même sentiment d’utilité quand on transporte des milliers de tonnes sur plusieurs centaines de mètres de wagons pour livrer des voitures, des matériaux et tout un tas d’autres marchandises qui seront utiles au quotidien pour les gens qui viendront les acheter en magasin une fois livrées.
Pourquoi le Fret est important selon vous ?
Dans l’urgence climatique et écologique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, la réponse coule presque de source. Un train de marchandises, c’est 40 à 50 camions en moins sur les routes, et 9 moins de CO2 rejeté pour une même masse transportée.
40 à 50 camions évités par train de fret, au-delà de la pollution évidente que ces camions auraient générée, ce sont aussi des routes et des autoroutes désengorgées.
Car rien que sur l’A9 du côté de Perpignan, ce ne sont pas moins de 12 600 camions qui ont été recensés par l’Insee en 2022 !
Je donne volontairement peu de chiffres, en espérant que les quelques-uns que j’ai cités soient percutants et parlants pour réaliser à quel point le fret ferroviaire est important à sauvegarder dans l’intérêt de tous, encore plus dans une région frontalière comme la nôtre d’où partent et arrivent énormément de marchandises qui traversent la France entière…
Je suis très fière de faire partie des femmes qui exercent ce métier atypique,
et de le représenter du mieux que je peux sur les réseaux sociaux.
Quelle image aviez-vous du métier en tant que femme, et comment le vivez-vous aujourd’hui ?
L’image que j’avais du métier de conducteur de trains était, comme je l’ai expliqué précédemment, un rêve presque irréalisable pour moi, car très peu voire quasiment non représenté par des femmes ! Même si heureusement, il y en a de plus en plus.
C’est aussi pour cela que j’ai décidé de partager mon quotidien sur les réseaux sociaux, pour montrer que c’est un métier accessible à tous les genres, à tous les âges, et à tous les profils « scolaires » et professionnels.
On entend beaucoup en tant que femme que c’est un métier physique, ou qui sera très contraignant pour la vie de famille.
Seulement quand même, si c’était un métier qui exigeait certaines aptitudes physiques comme de la force, on passerait une épreuve de sport au recrutement comme cela peut se voir dans certains métiers qui le nécessitent ! Or on ne passe pas d’épreuve de sport au recrutement pour être conductrice de trains.
Quant à la vie de famille, c’est sûr que ce sont des contraintes différentes d’autres métiers, mais c’est comme tout : c’est une question d’organisation et de gestion de son temps, mais c’est valable aussi bien pour un homme que pour une femme.
Je suis très fière de faire partie des femmes qui exercent ce métier atypique, et de le représenter du mieux que je peux sur les réseaux sociaux.
Au quotidien, c’est également très gratifiant de voir les voyageurs agréablement surpris de voir UNE conductrice et cela suscite parfois beaucoup de questions auxquelles il est très plaisant de répondre, toujours dans le but de démystifier le métier et de raconter son quotidien.
C’est également le cas des collègues (y compris d’autres services avec lesquels nous interagissons dans notre travail) qui me disent souvent que ça fait plaisir de voir de plus en plus de femmes dans ces métiers-là !
Les retours sont majoritairement positifs de toutes parts, et cela montre le progrès qui s’opère petit à petit sur la question de l’égalité homme-femme et le changement progressif des mentalités sur le sujet.
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